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4 septembre 2015 5 04 /09 /septembre /2015 12:58

Depuis quelques jours, on ne peut plus surfer sur facebook, sans se heurter à la photo du cadavre d’un enfant. Oh, je ne fustige personne. Loin de moi, l’idée de juger ou de condamner. Je constate. Et surtout, je m’interroge.

 

Je ne doute absolument pas que la plupart de celles et ceux qui publient cette photo le font pour sensibiliser l’opinion, pour dénoncer l’indifférence et un système inhumain comme sans âme, pour faire «bouger les choses», pour appeler à l’aide, à la solidarité ; certains, pour exorciser leur impuissance, leur peur, leur désespoir, leur traumatisme ; ou bien, pour hurler leur rage et/ou leur haine, pour culpabiliser ceux qui se disent indifférents ou opposés à toute aide offerte aux migrants. Face à ce qu’ils ne peuvent accepter quant à l’immobilisme de ceux qui nous gouvernent et aux réactions de certains concitoyens.

 

Oui, j’ai bien compris. Mais je ne peux m’empêcher de me poser des questions.

 

Souvenez-vous, il y a maintenant 20 ans (déjà !), de Julie et de Mélissa. Avons-nous eu besoin de voir ce que l’innommable folie de monstres avait fait d’elles pour comprendre toute l’horreur de ce qui leur était arrivé ? Pour nous indigner, pour nous révolter, pour pleurer, pour réclamer des comptes, pour crier «justice» pour les uns, «vengeance» pour les autres ? A l’époque, comme aujourd’hui encore, ce sont les photos de leurs frimousses qui ont inondé nos journaux, nos écrans, occupé les fenêtres des maisons et les vitres des voitures. Hanté notre quotidien, alors. Et nos mémoires, depuis. Les faits et leurs visages ont suffi à nous marquer, à nous mobiliser. A ne pas oublier.

 

Pourquoi, 20 ans plus tard, est-il nécessaire de brandir ad libitum, la photo du cadavre d’un petit bonhomme de 3 ans pour amener les gens à comprendre l’horreur d’une situation, pour susciter une réaction, pour (r)éveiller les consciences, pour mobiliser les gens ? Ad libitum : «jusqu’à ce que je sois pleinement satisfait»?!? Jusqu’à obtenir quoi, au fait ?! Que ceux qui sont ancrés dans une indifférence ou dans une opinion contraire, changent d’optique ?!?!?!?!?!?!?!

 

Cette photo diffusée par des milliers d’internautes modifiera-t-elle la perception, la mentalité et les choix de ceux qui ont d’autres préoccupations, d’«autres chats à fouetter» ? De ceux que la mort d’un enfant ne touche pas. De ceux qui n’en ont rien à foutre de lui et de ses semblables ? De ceux qui sont opposés à l’accueil de nouveaux migrants ? De ceux qui se disent : « yes, un de moins» ?

 

Très franchement, je ne le crois pas ! Du tout ! Ceux que cette photo touchera, ce sont ceux qui sont déjà émus et/ou concernés. Sans cela, par les faits en eux-mêmes. Aussi, j’ai noté : émus et/ou concernés. A dessein. Parce que, parmi ceux qui agissent, sur le moment, dans l’émotion et la contagion du buzz, combien agiront vraiment pour apporter une aide concrète ? Combien participeront à faire changer et à faire bouger les choses ? Combien resteront concernés, attentifs, mobilisés, actifs lorsque le phénomène se tassera, quand surviendra le prochain buzz ?

 

Je m’interroge sur notre nouvelle et actuelle façon de sensibiliser, de titiller l’humain et l’humanité, de véhiculer des idées et de communiquer. Par «le poids de (quelques) mots et le choc des photos» ?!?

 

Est-ce vraiment ce que nous voulons ? Pour aujourd’hui et pour demain ? Pour nous, pour nos enfants ?!?

 

L’humanité peut-elle se forcer, s’imposer ?!? Se forcer, s’imposer ainsi ?!? L’humanité peut-elle se stimuler, s’apprendre ainsi ? S’apprivoiser de cette façon ?!?

 

L’humanité ne peut-elle se vivre, se stimuler, s’apprendre, s’apprivoiser, se défendre, se diffuser et se véhiculer autrement ?!? N’y a-t-il par d’autres façons pour y parvenir ?!?

 

Aussi, un enfant est mort. D’autres sont morts, meurent ou mourront. Victimes de maladie ou d’accident. Victimes de l’indifférence, de la cupidité, de la haine des hommes.

 

Un enfant est mort. Et c’est à chaque fois, un monde qui s’éteint.

 

Aussi, pour Aylan, des fleurs et des pleurs. Enfin, un peu de douceur. Du recueillement et de la pudeur. Et un souvenir vivant.

 

Repose en paix, petit bonhomme, loin de nos cris et de nos fureurs, de nos haines et de nos peurs.

 

Pascale Ernest 

© tous droits réservés

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Published by outrepresse