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12 décembre 2015 6 12 /12 /décembre /2015 17:16

Une de mes camarades françaises a partagé une vidéo de Topito [1], dans laquelle on fait la peau à des fautes de français, telles que "croive", "je sais pas c’est qui", "faire montrer" et autres, qui se répandent un peu trop.

Un de ses contacts - qui, à l’évidence, s’est senti visé par la chose - s’est drapé dans sa dignité quant à la critique visant l’emploi de "malgré que" dont il défend âprement l’usage, dans sa réponse. En utilisant, entre autres, Voltaire et Montaigne comme arguments principaux d’Autorité et de Vérité, pour expliquer et justifier l’usage "naturel" de "malgré que" par le plus grand nombre voire quasi par tout le monde (euh, cela reste à voir), contre le désaveu et la critique de cet emploi qui ne peuvent obligatoirement être émis que par une petite caste de vilains "puristes".

Par des intellectuels, par élit(ist)es qui, eux, bien entendu, n’auraient pas été frappés par cette évidence. Par des passéistes qui ne comprennent rien à l’évolution du langage : "quand est-ce que pseudo-linguistes laisseront les gens se réapproprier leur langue ?". Les archaïsmes utilisés par Voltaire et Montaigne servant, dans son argumentation, de points de repère rénovateurs ; et ces piliers de la littérature, de référence culturelle automatique et "naturelle" pour ceux qui ont du mal à "causer correc’".

En gros, pour ce monsieur, si les gens utilisent "malgré que", c’est parce que ils "ont des points communs avec Voltaire et Montaigne : ils sont francophones, que je sache... et utiliser "malgré que" n'interdit pas de lire Montaigne ou Voltaire...". Ils "l'utilisent encore naturellement (y compris en France au grand dam des puristes). Et si ça fait mal aux oreilles des puristes, qu'ils s'informent et s'habituent.
".

L’autre argument de ce professeur de français (à ce qu’il dit lui-même) est que " "Malgré que" n'est pas une faute, c'est un archaïsme qui est encore pratiqué très largement en Belgique... ".

Je lui ai répondu une première fois que bon nombre d’"inconditionnels" de cet usage (considéré comme une faute de français) n’avaient pas forcément grand-chose à voir avec Voltaire ou Montaigne. Et qu’"ils ignor(ai)ent, pour la plupart, de qui il s'agit (s’agissait)". Pensant qu’il percevrait le clin d’œil sympa à une démonstration parfaitement tirée par les cheveux, pour ne pas dire intellectuellement malhonnête.

En retour, j’ai eu droit à : "Je vous remercie de considérer les Belges francophones comme des sous-Français qui ne sont pas loin du croive.".

Ah, là, j’en vois certains qui bavent d’ébahissement devant leur écran et d’autres qui "tchoûlent" d’hilarité sur leur clavier :D


Mon premier mouvement fut de rire, moi aussi, devant une conclusion et une interprétation aussi abusives que navrantes.

Mais au fur et à mesure de la rédaction de ma réponse, le rire a cédé la place à une réflexion sur le nivellement par le bas, la bien-pensance, le politiquement correct et autres amalgames, clichés, simplismes, faits dogmes, que l’on nous laisse comme seuls outils (autorisés) de réflexion et de communication.

Aussi, en tant que philosophe, à la suite de ce nouvel exemple, je voudrais savoir ceci : quand certaines personnes qui se moquent d’être suffisamment rigoureuses et/ou honnêtes dans l’établissement d’un raisonnement, arrêteront-elles d’utiliser des alibis, des ressentis, des connotations, des interprétations sans fondements, des simplismes, le victimaire, des clichés, la théorie ad hoc, la rhétorique, des réductions (dont le ad hominem et le ad Hitlerum), croisés subjectivement - et pire -, de manière paradoxale voire schizophrène, dans le déroulement d’une démonstration, pour arriver aux conclusions qu’elles souhaitent obtenir, contre la logique même à laquelle elles prétendent avoir recours ? Et d’utiliser une pseudo-raison pour justifier leur visées personnelles et exorciser leurs complexes existentiels ? Quand ?

Voici :

Hahaha ! Je me doutais que la belgitude qui touche certains de mes compatriotes et concitoyens risquait de pointer le bout de sa vertueuse indignation et de favoriser une interprétation abusive de mes propos ! ;-) J'le savais ! ^^ Même si j’espérais encore passer entre les mailles de ce triste filet.

Vous l’avez compris, je suis Belge ! ^^ :-) Et quoique vous en disiez ou pensiez, je ne considère pas "les Belges francophones comme des sous-Français qui ne sont pas loin du croive.". Il s’agit d’une interprétation qui vous est toute personnelle, mais qui ne figure pas dans mes propos. J’ai juste fait remarquer que "souvent, les inconditionnels du "malgré que" ont à peine une ou deux (petites) longueurs d'avance sur les fidèles du verbe "croiver".". C’est VOUS qui avez décidé d’amalgamer TOUS les Belges – y compris vous-même - à cette catégorie. PAS moi ! ;-) Idem pour ce que vous désignez comme un jugement de valeur, là où il s’agit d’un simple constat.

Cette faute que vous contestez si ardemment était encore de mon temps, désignée en tant que telle dans le cursus des futurs profs de français ... en Belgique ;-) Je suis également prof de français et philosophe (je parle de la formation) ;-)

Je suppose que, en tant que professeur de français, le niveau - chaque année plus désolant, handicapant qu’inacceptable -, des élèves au sortir du fondamental n’a pas pu vous échapper ;-)

Sérieusement, "malgré que" serait utilisé uniquement par les puristes, uniquement par une élite ?! Allez ! :D Ben, dites donc ! ^^ Son usage a pourtant été boudé par les générations précédentes, notamment et aussi par les gens de la classe moyenne. Parce que c’était enseigné ainsi. Donc, le "naturel" auquel vous faites allusion aurait peut-être été de suivre cet élan ;-) Aussi, si "malgré que" revient en force désormais, je doute que cela ait quelque chose à voir avec Voltaire ou avec Montaigne, tout francophones qu’ils soient ^^ – dont je m’empresse de vous préciser que je n’ai jamais dit, noté et même pensé qu’il était interdit de les lire - ; et je doute qu’un nombre certain de ceux qui ont recours au "malgré que" aient consulté ces auteurs de leur plein gré (et donc, avec l’attention requise) comme, plus certainement, tout court (parce que c’est chiant, que ça prend la tête, parce qu’il faut lire, parce que c’est vieux, que ce n’est pas cool, etc.). Sérieusement, dites !?! Cela ressemble à une démonstration et à une théorie ad hoc dont l’on arrange les prémisses et le déroulement pour les faire coïncider avec la conclusion que l’on veut obtenir ;-)

Quant à l’usage courant de "malgré que" par la population française et le fait que cet usage ne soit décrié que par les puristes, je laisserai le soin aux Français de répondre :-)

Et oui, de plus en plus de Belges parlent mal, écrivent mal et connaissent de vraies difficultés à lire c’est-à-dire à comprendre un texte écrit ! Ils disposent d'un vocabulaire toujours plus pauvre, égrené au rythme d'une syntaxe toujours plus fantaisiste, que l'on justifie par le recours au "surréalisme", ou bien au besoin de renouveau, d’adaptation/"adaptabilité", de "créativité", ou encore à la "tolérance" ou au "respect" (mots puissamment galvaudés et servis à toutes les sauces, ces dernières décennies) selon des valeurs "psycho-bobo-new-age", "haré-krishna-etc." ; des "valeurs" qui ont fait et bordé le lit du nivellement par le bas, ce chancre qui a permis à la population - celle que vous dites défendre – de glisser et de s’enliser dans le simplisme, le manichéisme et autres confusions comme amalgames. A cela s’ajoute depuis plus ou moins cinq ans, le fait que tout avis qui aurait l’audace de sortir de ce "rang" - des dogmes ambiants, devenu tout-puissants, absolu(tiste)s, véhiculés par le politiquement correct et par la bien-pensance -, se voit au-to-ma-ti-que-ment taxé d’un superbe point Godwin et jugé tout aussi sys-té-ma-ti-que-ment comme étant facho, nazi, "brun" ; balayant ainsi et même interdisant toute discussion, tout échange, toute nuance, tout recul, tout esprit critique, toute analyse, toute remise en question. La Vérité ne peut être contestée. Aussi, où se trouvent l’"élitisme", la "cast(e)-ratio(n)" ?!?

Et oui, encore : l’instruction, les formations et la culture qui faisaient de la Belgique un pays cité en exemple, envié par bien d’autres, il y a encore une vingtaine d’années, ont tellement été nivelées par la bas, perverties par trop de bien-pensance et de manichéisme que, dorénavant, notre cher pays se trouve être devenu en matière de culture générale, le plus mauvais élève d’Europe et figure, au niveau mondial, parmi les cancres. Au cas où le besoin de recourir à des études nationales comme internationales se ferait sentir, alors qu’il n’y a qu’à tendre l’oreille et à jeter un œil autour de soi pour percevoir et constater la situation, quelques liens sont disponibles plus bas[2].

Aussi, maintenant, je ne ris plus du tout. Oh, bien sûr, je me moque (dans les diverses acceptions du terme) de ces petites fiertés de "clan" ou de "clocher" - cette forme politiquement correcte d’un nationalisme comme d’un complexe, inconscients qui, dès lors, ne se reconnaissent, ni ne s’avouent, et s’enlisent dans une sorte de pathos irréfléchi, instinctif. Mais je ne ris plus quand il s’agit de saccager, de limiter, de réduire, d’appauvrir, comme cela a été fait, insidieusement mais sûrement, l’indispensable boîte à outils que constitue le langage. Et par là, de nuire à la faculté de penser des gens.

J’ajoute ici, ce que j’ai publié il y a quelques jours sur mon mur : "La pensée détermine le langage et le langage détermine la pensée. Sans toujours bien savoir qui, des deux, initie le mouvement (un peu comme dans l'exemple de l'oeuf et de la poule).

Si une pensée est pauvre, le langage le sera aussi ; de même que si une langue s'appauvrit, la pensée suivra le même mouvement. (cfr. les ouvrages de François Châtelet).

En renonçant à la réflexion, au recul, à l'analyse, à l'esprit critique et au fait de penser de manière étayée et construite, on s'engage à "être dit", à "être pensé" par d'autres (et souvent les moins intéressants voire les plus néfastes) dont ne nous sommes plus dès lors que les pathétiques perroquets, les tristes échos. ". Un mélange de loups dévoués et de moutons désignés.

Je rappellerai également que, ces jours-ci, l’on désigne à corps et à cris, que l’on "stigmatise" à qui mieux-mieux, les personnes les moins instruites, les moins "nuancées", comme étant de la chair à élection pour l’extrême droite.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de mettre en lumière le fait qu’une certaine "gauche" "caviar", électoraliste, clientéliste, "belgitudinienne", démagogue, socle d’une bien-pensance dogmatique, grande productrice de clichés, d’une émocratie aveugle, sourde et irrationnelle, de simplifications extrêmes et autres galvaudages, confusions et amalgames politiquement corrects, a contribué, déjà par le biais du nivellement par le bas (ainsi que par divers autres actes, discours et omissions) à faire le lit de l’extrême droite. En Belgique comme en France.

Ah oui, afin que vous n’interprétiez pas abusivement mes propos, je précise que je ne vous cible pas en notant tout ceci ; je vous prends juste à témoin :-) Mais encore, afin de vous éviter toute tentation, je tiens à préciser également que je ne suis pas de droite (et n’aime d’ailleurs aucun des partis qui fleurissent dans notre beau pays). Mais j’ai du mal à tolérer une "gauche" qui n’est à gauche que dans son discours et qui a grandement favorisé une évasion massive (y compris de celle de "gauchistes" déçus) vers des extrêmes fâcheux, politiques comme religieux, dont une droite de plus en plus à droite.

Aussi, les temps ne sont plus aux petites chamailleries de "fierté nationale", de "clochers", de "clans", de "communautés", d’"obédiences", de "partis" et autres dérisoires "cocoricos" ; l’heure est à la lucidité et à l’analyse, si nous souhaitons ne pas rééditer dans un "live" sanglant et meurtrier, ce que depuis 70 ans, livres, dossiers, reportages, films, témoignages directs et autres auraient du nous permettre de voir venir de loin et d’éviter.

Et pourtant, nous sommes à l’aube de l’un de ces dramatiques et intolérables retours de l’Histoire. Parce que, entre autres, l’éducation, l’instruction, la culture - et leurs abords respectifs par des outils de qualité comme diversifiés – ont, de fait comme à l’évidence, échoué.

© Pascale Ernest – tous droits réservés

[1] https://www.facebook.com/TopitoVideo/videos/1500971403532300/

[2] http://m.levif.be/actualite/belgique/la-belgique-dans-le-top-10-des-pays-les-plus-ignorants-au-monde/article-normal-438873.html?utm_campaign=Echobox&utm_medium=social&utm_source=Facebook

http://www.lesoir.be/917913/article/actualite/enseignement/2015-06-24/93-des-eleves-ont-reussi-leur-ceb

http://www.lalibre.be/debats/opinions/1020-non-au-nivellement-par-le-bas-de-notre-enseignement-superieur-528213733570ea593db97d68

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Published by outrepresse